Les "Salles dorées", une somptuosité exemplaire
Les
« Salles dorées », réalisées en 1627-28, constituent « une des sources
majeures de nos connaissances sur le décor français dans la première
moitié du XVIIe siècle » (Alain Mérot).
La qualité des propriétaires,
proches de la reine-mère Marie de Médicis et des cercles de la
Préciosité parisienne confèrent à ces appartements un caractère
exemplaire, et l’on peut y évoquer la somptuosité disparue des hôtels
parisiens du Marais ou du quartier du Louvre.
L'appartement de la Marquise
L’appartement
de la marquise d’Huxelles a conservé la distribution habituelle à
l’époque dans la haute noblesse : suivant un ordre croissant d’intimité,
on passe de l’antichambre à la chambre puis au cabinet.
L'antichambre
L’antichambre
est la salle publique, sorte de « sas social », que traversent les
personnes de qualité et où attendent les personnes inférieures. On n’y
reçoit que les jours de bal et de banquet.
En France, c’est la seule grande salle de l’époque à avoir gardé des « boiseries de hauteur » couvrant la totalité des murs.
Au-dessus
de la cheminée, dans un encadrement de trophées militaires, le jeune
roi Louis XIII caracole devant les tours de Notre-Dame de Paris.
L'antichambre de la Marquise
Louis XIII devant Paris
La chambre de la marquise
C’est la
pièce principale d’un appartement, le lieu de la sociabilité, où les
familiers ont libre accès : on y dort, on y reçoit et on y prend les
repas. Le plafond à la française est somptueux, avec ses poutres peintes
en bleu de lapis lazuli, ses ornements en relief blanc et or et ses
fleurs assemblées en bouquets et corbeilles. La cheminée, par son
ampleur, évoque les rétables des églises baroques. Elle est ornée d’un
tableau «Vénus commandant à Vulcain des armes pour Enée» peint avant
1626 par Quentin Varin, peintre attitré de la reine Marie de Médicis et
apporté à Cormatin en avril 1627.
Deux pièces complètent ces
salles d’apparat, un cabinet pour l’intimité et le confort et une
garde-robe pour le service des femmes de chambre. On peut donc
comprendre à Cormatin l’organisation de la vie quotidienne au XVIIe
siècle, dans un temps où public et privé commençaient à peine à se
différencier.
Le plafond de la chambre de la Marquise
Corbeille de fleurs sur les lambris de la chambre
La
liaison entre l’appartement de la marquise et celui de son mari, Jacques
du Blé, se faisait par deux pièces, conçues comme des espaces de
présentation pour les hôtes privilégiés : la salle des miroirs et le
cabinet de Sainte Cécile.
La salle des miroirs
C'est un
témoignage très rare de ces « chambres des merveilles » ou « cabinets de
curiosités », si fréquents en Europe au début du XVIIe siècle. On y
assemblait, sans esprit scientifique mais pour alimenter des réflexions
symboliques, objets exotiques ou étranges, coquillages, animaux
empaillés, minéraux, bronzes, etc.
Le plafond à caissons ornés
d’amours volant sur fond de ciel est un des plus anciens témoignages de
l’implantation en France de cette mode italienne, apportée au palais du
Luxembourg en 1625-26 par Orazio Gentileschi. Pour renforcer le
caractère initiatique du cabinet, le plafond comporte des symboles
alchimiques (au centre, l'enfant répandant des roses à l'aurore
représente la "Rosea" nécessaire aux opérations alchimiques).
Au-dessus de la cheminée, le maître des lieux, Jacques du Blé surnommé à la Cour "le Rousseau de la Reine".
La salle des miroirs
Le cabinet de Sainte Cécile
Le
cabinet du marquis ou « Cabinet de Ste Cécile » est la gloire de
Cormatin (3 étoiles guide Bourgogne-Michelin). Ce « studiolo » est
certainement la pièce la plus luxueuse et la mieux conservée en France
du début XVIIe siècle. La profusion décorative fait naître, « aux lueurs
glissantes de l’or, un de ces « enchantements », chers aux Précieux,
devant lesquels la raison doit s’avouer vaincue » (A. Mérot).
Chaque
détail est peint avec une grande délicatesse, surtout fleurs et fruits,
témoignant de l’origine flamande des peintres, qui ont réalisé ce décor
en 1625.
Un programme symbolique fédère les nombreux motifs. Il
célèbre la régénération de l’âme, grâce au Blé mystique (allusion au nom
de la famille), aux vertus et à l’Harmonie personnifiée par Ste Cécile.
Le cabinet de Sainte Cécile
La cuisine
A l'époque
révolutionnaire, l’antichambre du marquis devient cuisine, quand la
propriétaire vit seule au château avec ses six enfants. La pièce garde
cette fonction jusqu’en 1950. Elle est restée en état, avec son potager
(foyers ouverts pour mijoter), sa grande cheminée avec tourne-broche,
son tableau des sonnettes, etc.
Les préparatifs d'un grand repas...
La chambre du marquis
A l'époque de
Jacques du Blé, la pièce était tendue de tapisseries sur le thème des
travaux d'Hercules. On peut y voir aujourd'hui une superbe tapisserie de
Bruxelles représentant Méléagre partant à la chasse au sanglier avec
Atalante et recevant l'aide de Castor et Pollux (1658). C'est le peintre
Charles Le Brun qui avait composé les huit tableaux de l'histoire de
Méléagre, transposés en tapisseries à la demande du surintendant des
finances, Nicolas Fouquet.
Sur les murs de la chambre, sont également présentés dix tableaux
(fin XVIe siècle, attribués à Stradanus) représentant les empereurs
romains à cheval.
Ils ont une provenance illustre puisqu'ils
faisaient partie de la collection des Gonzagues à Mantoue. Ils ont été
donnés à la veuve de Jacques du Blé par le duc de Mantoue, Charles de
Gonzagues-Nevers pour les services rendus par son mari pendant la guerre
de succession et la campagne militaire du Montferrat (1628).
La chasse de Méléagre - Tapisserie de Bruxelles
Les salles 1900
A la fin du XIXe, le
propriétaire est Raoul Gunsbourg, directeur de l’Opéra de Monte-Carlo.
Il restaure le château en respectant les décors du XVIIe siècle.
Cependant, il s’amuse à concevoir lui-même des appartements pour ses
invités dans les parties du château qui n’avaient plus de décor. Très
éclectique dans ses choix, il crée des ambiances romaines, Louis XIV,
Renaissance, gothiques, byzantines, etc. Il n’hésite pas à démembrer des
meubles anciens pour composer des cheminées, armoires ou buffets dans
le style choisi…
À l’étage, le salon-bibliothèque permet
d’évoquer les célèbres chanteurs et compositeurs, qui séjournaient à
Cormatin pendant les étés de la Belle Epoque, Caruso, Chaliapine,
Litvine, Jules Massenet, etc.
Le grand tableau « Ronde antique » de
Feyen-Perrin a été exposé au Salon des Beaux-Arts de 1863. Gunsbourg l’a
acquis à Paris vers 1910 et Matisse l'aurait vu peu avant, au moment où
il élaborait son tableau « La Danse » (1909).
La "Ronde antique" dans le salon-bibliothèque
Les générations suivantes résident peu en
Bourgogne. Cependant Nicolas du Blé, maréchal de France, gouverneur de
l’Alsace et membre du Conseil de régence à la mort de Louis XIV y est
exilé en 1722, pour son opposition à l’alliance avec l’Angleterre.
Son neveu et héritier, Henri-Camille de Béringhen, Premier Ecuyer du roi
Louis XV, laisse ensuite tout le marquisat d’Huxelles à sa fille
naturelle, Sophie Verne.
Portrait de Jacques du Blé
Le vin de Bourgogne sauve le château !
Avec
elle, le château retrouve vie à la belle saison. Son mari, Pierre
Dezoteux, aide-de-camp de Rochambeau pendant la guerre d’indépendance
américaine, acclimate dans les jardins de nombreux arbres (tulipiers de
Virginie, cyprès-chauves de Louisiane).
Au moment de la « Grande Peur » de 1789, il réussit à calmer les
émeutiers, prêts à brûler le château, en faisant sortir pour eux tous
les tonneaux des caves…
Pendant la Révolution, il devient le chef des Chouans de Bretagne, sans
que sa femme, restée à Cormatin avec ses six enfants, ne soit inquiétée.
Le château traverse sans dommage la tourmente. Cependant, en 1815, des
transformations maladroites entraînent l’écroulement de l’aile sud.
Le blason de la famille du Blé
Les amours du poète
En 1812,
Lamartine séduit la fille des propriétaires, Nina Dezoteux, épouse du
comte de Pierreclau et un fils nait de ces amours. Le poète revient
souvent au château à partir de 1843, lorsqu’un de ses proches, Henri de
Lacretelle, en hérite. Il y écrit une importante partie de « L’histoire
des Girondins », grâce aux archives familiales. En 1847, il réunit à
Cormatin ses amis politiques pour rédiger son programme "républicain et
socialiste". Imprimé à Macon, ce texte connaît un retentissement
européen lors des révolutions de 1848.
Pour garder le souvenir de l’évènement, une statue de la seconde
république française est érigée dans la cour en 1849. Elle a survécu
mais… décapitée.
Le 14 juillet 1888 nait au château Jacques de Lacretelle, un des grands
écrivains français du XXe siècle (Silbermann). Dans sa série romanesque «
Les Hauts-Ponts », il s’inspire du drame que fut pour sa famille la
perte du domaine, vendu en 1898 à Raoul Gunsbourg.
Avec ce Directeur de l'Opéra de Monte-Carlo, Cormatin devient une des
étapes estivales du monde du spectacle et de la politique. Chaque année,
le « Concours musical de Cormatin », présidé par le compositeur Jules
Massenet, fait entendre une opérette ou un opéra devant les façades du
château. Les interprètes sont prestigieux : Caruso, Chaliapine, Litvine,
Tamagno, etc.
Après cette période brillante, plus de 50 années de négligence amènent
Cormatin au bord de la ruine.
En septembre 1980, Anne-Marie Joly, Marc Simonet-Lenglart et
Pierre-Albert Almendros font l’acquisition de ce « chef-d’œuvre en péril
». Depuis, ils se consacrent à sa restauration et à sa mise en valeur,
grâce au soutien des 60000 personnes qui visitent le château chaque
année.
De 1982 à 1995, la restauration du château a également bénéficié des
aides financières du Ministère de la Culture et du Conseil Général de
Saône et Loire pour la restauration des façades, le recreusement des
douves et la mise en valeur des décors peints du XVIIe siecle.
La statue de la république, décapitée
Jacques de Lacretelle
La cour
Dans la cour, les portails
allègent le parti très rigoureux voulu par Antoine du Blé. Ils sont
ajoutés en 1624 sur des dessins attribués à Salomon de Brosse, et sont
très proches d'autres œuvres du grand architecte de Marie de Médicis.
Les portails sur la cour du château
Un vaste escalier d'honneur
L’escalier d’honneur, au centre de l’aile nord, est le plus vaste que l'on ait conservé du modèle à vide central sur plan carré.
Commandé
par contrat signé à Paris en janvier 1624, construit en pierre sur
quatre niveaux, et terminé en dix mois, il reprend les dispositions de
l’escalier du palais du Luxembourg, élevé par Salomon de Brosse pendant
l’année 1623 (détruit au début du XIXe siècle).
Il est
particulièrement remarquable pour ses larges arcs rampants supportant
les volées de pierre et pour ses magnifiques balustres « posez de la
mesme distance et de semblable architecture que ceulx de l’hostel du
Luxembourg » (contrat de 1624).